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désespoir : madame de Tourvel est partie. Elle est partie, & je ne l’ai pas su ! & je n’étais pas là pour m’opposer à son départ ! pour lui reprocher son indigne trahison ! Ah ! ne croyez pas que je l’eusse laissée partir ; elle serait restée ; oui, elle serait restée, eussé-je dû employer la violence. Mais quoi ! dans ma crédule sécurité, je dormais tranquillement ; je dormais & la foudre est tombée sur moi. Non, je ne conçois rien à ce départ ; il faut renoncer à connaître les femmes.

Quand je me rappelle la journée d’hier ! que dis-je ? la soirée même. Ce regard si doux, cette voix si tendre ! & cette main serrée ! & pendant ce temps, elle projetait de me fuir ! O femmes, femmes ! plaignez-vous donc, si l’on vous trompe ! Mais oui, toute perfidie qu’on emploie est un vol qu’on vous fait.

Quel plaisir j’aurai à me venger ! je la retrouverai, cette femme perfide ; je reprendrai mon empire sur elle. Si l’amour m’a suffi pour en trouver les moyens, que ne fera-t-il pas, aidé de la vengeance ! Je la verrai encore à mes genoux, tremblante & baignée de pleurs, me criant merci de sa trompeuse voix ; & moi, je serai sans pitié.

Que fait-elle à présent ? que pense-t-elle ? Peut-être elle s’applaudit de m’avoir trompé, et, fidèle aux goûts de son sexe, ce plaisir lui paraît le plus doux. Ce que n’a pu la vertu tant vantée, l’esprit de ruse l’a produit sans effort. Insensé ! je redoutais sa sagesse ; c’était sa mauvaise foi que je devais craindre.

Et être obligé de dévorer mon ressentiment ! n’oser montrer qu’une tendre douleur, quand j’ai le cœur