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& qui, soit imprudence ou faiblesse, m’a dit de sa douce voix : « Où allez-vous donc ? il n’y a personne au salon. » Il ne m’en a pas fallu davantage, comme vous pouvez croire, pour essayer d’entrer chez elle ; j’y ai trouvé moins de résistance que je ne m’y attendais. Il est vrai que j’avais eu la précaution de commencer la conversation à la porte, & de la commencer indifférente ; mais à peine avons-nous été établis, que j’ai ramené la véritable, & que j’ai parlé de mon amour à mon amie. Sa première réponse, quoique simple, m’a paru assez expressive : « Oh ! tenez, m’a-t-elle dit, ne parlons pas de cela ici ; » & elle tremblait. La pauvre femme ! elle se voit mourir.

Pourtant elle avait tort de craindre. Depuis quelque temps, assuré du succès un jour ou l’autre, & la voyant user tant de force dans d’inutiles combats, j’avais résolu de ménager les miennes, & d’attendre sans effort qu’elle se rendît de lassitude. Vous sentez bien qu’ici il faut un triomphe complet, & que je ne veux rien devoir à l’occasion. C’était même d’après ce plan formé, & pour pouvoir être pressant, sans m’engager trop, que je suis revenu à ce mot d’amour, si obstinément refusé : sûr qu’on me croyait assez d’ardeur, j’ai essayé un ton plus tendre. Ce refus ne me fâchait plus, il m’affligeait ; ma sensible amie ne me devait-elle pas quelques consolations ?

Tout en me consolant, une main était restée dans la mienne ; le joli corps était appuyé sur mon bras, & nous étions extrêmement rapprochés. Vous avez sûrement remarqué combien, dans cette situation, à