Page:Choderlos de Laclos - Les Liaisons dangereuses, 1869, Tome 2.djvu/44

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’agonie de la vertu. La douce faiblesse va régner à sa place. Je n’en fixe pas l’époque plus tard qu’à notre première entrevue : mais déjà je vous entends crier à l’orgueil. Annoncer sa victoire, se vanter à l’avance ! Eh, là, là, calmez-vous ! Pour vous prouver ma modestie, je vais commencer par l’histoire de ma défaite.

En vérité, votre pupille est une petite personne bien ridicule ! C’est bien un enfant qu’il faudrait traiter comme tel, & à qui on ferait grâce en ne le mettant qu’en pénitence ! Croiriez-vous qu’après ce qui s’est passé avant-hier entre elle & moi, après la façon amicale dont nous nous sommes quittés hier matin ; lorsque j’ai voulu y retourner le soir, comme elle en était convenue, j’ai trouvé sa porte fermée en dedans ? Qu’en dites-vous ? on éprouve quelquefois de ces enfantillages-là la veille ; mais le lendemain ! cela n’est-il pas plaisant ?

Je n’en ai pourtant pas ri d’abord ; jamais je n’avais autant senti l’empire de mon caractère. Assurément j’allais à ce rendez-vous sans plaisir, & uniquement par procédé. Mon lit, dont j’avais grand besoin, me semblait, pour le moment, préférable à celui de tout autre, & je ne m’en étais éloigné qu’à regret. Cependant je n’ai pas eu plus tôt trouvé un obstacle, que je brûlais de le franchir ; j’étais humilié, surtout, qu’un enfant m’eût joué. Je me retirai donc avec beaucoup d’humeur, & dans le projet où j’étais de ne plus me mêler de ce sot enfant, ni de ses affaires, je lui avais écrit, sur-le-champ, un billet que je comptais lui remettre