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souffrirai pas qu’elle épouse celui-ci pour aimer celui-là, & j’aime mieux compromettre mon autorité que sa vertu.

Je crois donc que je vais prendre le parti le plus sage, de retirer la parole que j’ai donnée à M. de Gercourt. Vous venez d’en voir les raisons ; elles me paraissent devoir l’emporter sur ma promesse. Je dis plus ; dans l’état où sont les choses, remplir mon engagement, ce serait véritablement le violer. Car enfin, si je dois à ma fille de ne pas livrer son secret à M. de Gercourt, je dois au moins à celui-ci de ne pas abuser de l’ignorance où je le laisse, & de faire pour lui tout ce que je crois qu’il ferait lui-même, s’il était instruit. Irai-je, au contraire, le trahir indignement, quand il se livre à ma foi, et, tandis qu’il m’honore en me choisissant pour sa seconde mère, le tromper dans le choix qu’il veut faire de la mère de ses enfants ? Ces réflexions si vraies & auxquelles je ne peux me refuser, m’alarment plus que je ne puis vous dire.

Aux malheurs qu’elles me font redouter, je compare ma fille, heureuse avec l’époux que son cœur a choisi, ne connaissant ses devoirs que par la douceur qu’elle trouve à les remplir ; mon gendre également satisfait & se félicitant, chaque jour, de son choix ; chacun d’eux ne trouvant de bonheur que dans le bonheur de l’autre, & celui de tous deux se réunissant pour augmenter le mien. L’espoir d’un avenir si doux doit-il être sacrifié à de vaines considérations ? Et quelles sont celles qui me retiennent ? uniquement des vues d’intérêt. De quel avantage sera-t-il donc pour