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Lettre XCVIII

Madame de Volanges à la marquise de Merteuil.

Il y a bien peu de jours, ma charmante amie, que c’était vous qui me demandiez des consolations & des conseils : aujourd’hui, c’est mon tour ; & je vous fais pour moi la même demande que vous me faisiez pour vous. Je suis bien réellement affligée, & je crains de n’avoir pas pris les meilleurs moyens pour éviter le chagrin que j’éprouve.

C’est ma fille qui cause mon inquiétude. Depuis mon départ, je l’avais bien vue toujours triste & chagrine ; mais je m’y attendais, & j’avais armé mon cœur d’une sévérité que je jugeais nécessaire. J’espérais que l’absence, les distractions détruiraient bientôt un amour que je regardais plutôt comme une erreur de l’enfance que comme une véritable passion. Cependant loin d’avoir rien gagné depuis mon séjour ici, je m’aperçois que cette enfant se livre de plus en plus à une mélancolie dangereuse ; & je crains, tout de bon, que sa santé ne s’altère. Particulièrement depuis quelques jours, elle change à vue d’œil. Hier, surtout, elle me frappa, & tout le monde ici en fut vraiment alarmé.

Ce qui me prouve encore combien elle est affectée vivement, c’est que je la vois prête à surmonter la timidité qu’elle a toujours eue avec moi. Hier matin,