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matin en me levant, quand je me suis regardée au miroir, je faisais peur, tant j’étais changée.

Maman s’en est aperçue dès qu’elle m’a vue, & elle m’a demandé ce que j’avais. Moi, je me suis mise à pleurer tout de suite. Je croyais qu’elle m’allait gronder, & peut-être ça m’aurait fait moins de peine : mais, au contraire. Elle m’a parlé avec douceur. Je ne le méritais guère. Elle m’a dit de ne pas m’affliger comme ça ! Elle ne savait pas le sujet de mon affliction. Que je me rendrais malade ! Il y a des moments où je voudrais être morte. Je n’ai pas pu y tenir. Je me suis jetée dans ses bras en sanglotant, & en lui disant : « Ah ! maman, votre fille est bien malheureuse ! » Maman n’a pas pu s’empêcher de pleurer un peu ; & tout cela n’a fait qu’augmenter mon chagrin : heureusement elle ne m’a pas demandé pourquoi j’étais si malheureuse, car je n’aurais su que lui dire.

Je vous en supplie, Madame, écrivez-moi le plus tôt que vous pourrez, & dites-moi ce que je dois faire : car je n’ai le courage de songer à rien, & je ne fais que m’affliger. Vous voudrez bien m’adresser votre lettre par M. de Valmont ; mais, je vous en prie, si vous lui écrivez en même temps, ne lui parlez pas que je vous aie rien dit.

J’ai l’honneur d’être, Madame, avec toujours bien de l’amitié, votre très humble & très obéissante servante…

Je n’ose pas signer cette lettre.

Du château de… ce 1er octobre 17…