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Vous croyez que j’ai vendu bien cher ce poste important : non, j’ai tout promis pour un baiser. Il est vrai que le baiser pris, je n’ai pas tenu ma promesse : mais j’avais de bonnes raisons. Étions-nous convenus qu’il serait pris ou donné ? A force de marchander, nous sommes tombés d’accord pour un second ; & celui-là, il était dit qu’il serait reçu. Alors ayant guidé ses bras timides autour de mon corps, & la pressant de l’un des miens plus amoureusement, le doux baiser a été reçu en effet ; mais bien, mais parfaitement reçu : tellement enfin que l’amour n’aurait pas pu mieux faire.

Tant de bonne foi méritait récompense, aussi ai-je aussitôt accordé la demande. La main s’est retirée ; mais je ne sais par quel hasard, je me suis trouvé moi-même à sa place. Vous me supposez là bien empressé, bien actif, n’est-il pas vrai ? Point du tout. J’ai pris goût aux lenteurs, vous dis-je. Une fois sûr d’arriver, pourquoi tant presser le voyage ?

Sérieusement, j’étais bien aise d’observer une fois la puissance de l’occasion, & je la trouvais ici dénuée de tout secours étranger. Elle avait pourtant à combattre l’amour ; & l’amour soutenu par la pudeur ou la honte ; & fortifié surtout par l’humeur que j’avais donnée & dont on avait beaucoup pris. L’occasion était seule ; mais elle était là, toujours offerte, toujours présente, & l’amour était absent.

Pour assurer mes observations, j’avais la malice de n’employer de force que ce qu’on en pouvait combattre. Seulement, si ma charmante ennemie, abusant de