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piquant. J’écrivis à Danceny pour me plaindre de ce refus, & je fis si bien que notre étourdi n’eut de cesse qu’il n’eût obtenu, exigé même de sa craintive maîtresse, qu’elle accordât ma demande & se livrât toute à ma discrétion.

J’étais bien aise, je l’avoue, d’avoir ainsi changé de rôle, & que le jeune homme fît pour moi ce qu’il comptait que je ferais pour lui. Cette idée doublait, à mes yeux, le prix de l’aventure : aussi dès que j’ai eu la précieuse clef, me suis-je hâté d’en faire usage. C’était la nuit dernière.

Après m’être assuré que tout était tranquille dans le château, armé de ma lanterne sourde & dans la toilette que comportait l’heure & qu’exigeait la circonstance, j’ai rendu ma première visite à votre pupille. J’avais tout fait préparer (et cela par elle-même), pour pouvoir entrer sans bruit. Elle était dans son premier sommeil, & dans celui de son âge, de façon que je suis arrivé jusqu’à son lit, sans qu’elle se soit réveillée. J’ai d’abord été tenté d’aller plus avant, & d’essayer de passer pour un songe ; mais craignant l’effet de la surprise & le bruit qu’elle entraîne, j’ai préféré d’éveiller avec précaution la jolie dormeuse, & suis en effet parvenu à prévenir le cri que je redoutais.

Après avoir calmé ses premières craintes, comme je n’étais pas venu là pour causer, j’ai risqué quelques libertés. Sans doute on ne lui a pas bien appris dans son couvent à combien de périls divers est exposée la timide innocence, & tout ce qu’elle a à garder pour