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LES LIAISONS

demain l’habit de postulante. J’espère que vous n’oublierez pas, ma chère amie, que dans ce grand sacrifice que je fais, je n’ai d’autre motif, pour m’y croire obligée, que le silence que vous avez gardé vis-à-vis de moi.

M. Danceny a quitté Paris, il y a près de quinze jours. On dit qu’il va passer à Malte, & qu’il a le projet de s’y fixer. Il serait peut-être encore temps de le retenir… Mon amie !… ma fille est donc bien coupable !… Vous pardonnerez sans doute à une mère de ne céder que difficilement à cette affreuse certitude.

Quelle fatalité s’est donc répandue autour de moi depuis quelque temps, & m’a frappée dans les objets les plus chers : ma fille & mon amie !

Qui pourrait ne pas frémir en songeant aux malheurs que peut causer une seule liaison dangereuse ! & quelles peines ne s’éviterait-on point en y réfléchissant davantage ? Quelle femme ne fuirait pas au premier propos d’un séducteur ? Quelle mère pourrait, sans trembler, voir une autre personne qu’elle parler à sa fille ? Mais ces réflexions tardives n’arrivent jamais qu’après l’événement, & l’une des plus importantes vérités, comme aussi peut-être des plus généralement reconnues, reste étouffée & sans usage dans le tourbillon de nos mœurs inconséquentes.

Adieu, ma chère & digne amie ; j’éprouve en ce moment que notre raison, déjà si insuffisante pour