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Je me rappelle encore plusieurs circonstances qui peuvent fortifier cette crainte. Je vous ai mandé que ma fille s’était trouvée mal à la nouvelle du malheur arrivé à M. de Valmont ; peut-être cette sensibilité avait-elle seulement pour objet l’idée des risques que M. Danceny avait courus dans ce combat. Quand depuis elle a tant pleuré en apprenant tout ce qu’on disait de madame de Merteuil, peut-être ce que j’ai cru la douleur de l’amitié n’était que l’effet de la jalousie, ou du regret de trouver son amant infidèle. Sa dernière démarche peut encore, ce me semble, s’expliquer par le même motif. Souvent on se croit appelée à Dieu, par cela seul qu’on se sent révoltée contre les hommes. Enfin, en supposant que ces faits soient vrais, & que vous en soyez instruite, vous aurez pu, sans doute, les trouver suffisants pour autoriser le conseil rigoureux que vous me donnez.

Cependant, s’il était ainsi, en blâmant ma fille, je croirais pourtant lui devoir encore de tenter tous les moyens de lui sauver les tourments & les dangers inséparables d’une vocation illusoire & passagère. Si M. Danceny n’a pas perdu tout sentiment d’honnêteté, il ne se refusera pas à réparer un tort dont lui seul est l’auteur ; & je peux croire enfin que le mariage de ma fille est assez avantageux, pour qu’il puisse en être flatté, ainsi que sa famille.

Voilà, ma chère & digne amie, le seul espoir qui me reste ; hâtez-vous de le confirmer, si cela vous est possible. Vous jugez combien je désire que vous me