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tout le monde ignorât où elle s’était retirée. C’est une cruelle chose que la déraison des enfants !

J’ai été sur-le-champ à ce couvent ; & après avoir vu la supérieure, je lui ai demandé de voir ma fille ; celle-ci n’est venue qu’avec peine, & bien tremblante. Je lui ai parlé devant les religieuses, & je lui ai parlé seule : tout ce que j’en ai pu tirer, au milieu de beaucoup de larmes, est qu’elle ne pouvait être heureuse qu’au couvent ; j’ai pris le parti de lui permettre d’y rester, mais sans être encore au rang des postulantes, comme elle le demandait. Je crains que la mort de madame de Tourvel & celle de M. de Valmont n’aient trop affecté cette jeune tête. Quelque respect que j’aie pour la vocation religieuse, je ne verrais pas sans peine, & même sans crainte, ma fille embrasser cet état. Il me semble que nous avons déjà bien assez de devoirs à remplir, sans nous en créer de nouveaux ; & encore, que ce n’est guère à cet âge que nous savons ce qui nous convient.

Ce qui redouble mon embarras, c’est le retour très prochain de M. de Gercourt ; faudra-t-il rompre ce mariage si avantageux ? Comment donc faire le bonheur de ses enfants, s’il ne suffit pas d’en avoir le désir & d’y donner tous ses soins ? Vous m’obligerez beaucoup de me dire ce que vous feriez à ma place ; je ne peux m’arrêter à aucun parti ; je ne trouve rien de si effrayant que d’avoir à décider du sort des autres, & je crains également de mettre dans cette occasion-ci la sévérité d’un juge ou la faiblesse d’une mère.

Je me reproche sans cesse d’augmenter vos cha-