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Mais le temps qui s’écoulait sans qu’elle revînt, me rendit toutes mes inquiétudes. Chaque moment augmentait ma peine ; & tout en brûlant de m’instruire, je n’osais pourtant prendre aucune information, dans la crainte de donner de l’éclat à une démarche que, peut-être, je voudrais après pouvoir cacher à tout le monde. Non, de ma vie je n’ai tant souffert.

Enfin, ce ne fut qu’à deux heures passées, que je reçus à la fois une lettre de ma fille & une de la Supérieure du couvent de… La lettre de ma fille disait seulement qu’elle avait craint que je ne m’opposasse à la vocation qu’elle avait de se faire religieuse, & qu’elle n’avait osé m’en parler : le reste n’était que des excuses sur ce qu’elle avait pris sans ma permission ce parti, que je ne désapprouverais sûrement pas, ajoutait-elle, si je connaissais ses motifs, que pourtant elle me priait de ne pas lui demander.

La supérieure me mandait qu’ayant vu arriver une jeune personne seule, elle avait d’abord refusé de la recevoir ; mais que l’ayant interrogée, & ayant appris qui elle était, elle avait cru me rendre service, en commençant par donner asile à ma fille, pour ne pas l’exposer à de nouvelles courses, auxquelles elle paraissait déterminée. La supérieure, en m’offrant comme de raison de me remettre ma fille, si je la redemandais, m’invite, suivant son état, à ne pas m’opposer à une vocation qu’elle appelle si décidée ; elle me disait encore n’avoir pas pu m’informer plus tôt de cet événement, par la peine qu’elle avait eue à me faire écrire par ma fille, dont le projet, me dit-elle, était que