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& de chagrin en chagrin. Il faut être mère, pour avoir l’idée de ce que j’ai souffert hier toute la matinée ; & si mes plus cruelles inquiétudes ont été calmées depuis, il me reste encore une vive affliction, & dont je ne prévois pas la fin.

Hier, vers dix heures du matin, étonnée de n’avoir pas encore vu ma fille, j’envoyai ma femme de chambre pour savoir ce qui pouvait occasionner ce retard. Elle revint le moment d’après fort effrayée, & m’effraya bien davantage encore, en m’annonçant que ma fille n’était pas dans son appartement ; & que depuis le matin, sa femme de chambre ne l’y avait pas trouvée. Jugez de ma situation ! Je fis venir tous mes gens, & surtout mon portier : tous me jurèrent ne rien savoir & ne pouvoir rien m’apprendre sur cet événement. Je passai aussitôt dans la chambre de ma fille. Le désordre qui y régnait m’apprit bien qu’apparemment elle n’était sortie que le matin : mais je n’y trouvai d’ailleurs aucun éclaircissement. Je visitai ses armoires, son secrétaire ; je trouvai tout à sa place & toutes ses hardes, à la réserve de la robe avec laquelle elle était sortie. Elle n’avait seulement pas pris le peu d’argent qu’elle avait chez elle.

Comme elle n’avait appris qu’hier tout ce qu’on dit de madame de Merteuil, qu’elle lui est fort attachée, & au point même qu’elle n’avait fait que pleurer ensuite toute la soirée ; comme je me rappelais aussi qu’elle ne savait pas que madame de Merteuil était à la campagne, ma première idée fut qu’elle avait voulu voir son amie, & qu’elle avait fait l’étourderie d’y aller seule.