Page:Choderlos de Laclos - Les Liaisons dangereuses, 1869, Tome 2.djvu/28

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Oui, j’aime à voir, à considérer cette femme prudente, engagée, sans s’en être aperçue, dans un sentier qui ne permet plus de retour, & dont la pente rapide & dangereuse l’entraîne malgré elle, & la force à me suivre. Là, effrayée du péril qu’elle court, elle voudrait s’arrêter, & ne peut se retenir. Ses soins & son adresse peuvent bien rendre ses pas moins grands ; mais il faut qu’ils se succèdent. Quelquefois, n’osant fixer le danger, elle ferme les yeux, &, se laissant aller, s’abandonne à mes soins. Plus souvent ; une nouvelle crainte, qui ranime ses efforts : dans son effroi mortel, elle veut tenter encore de retourner en arrière ; elle épuise ses forces pour gravir péniblement un court espace ; & bientôt un magique pouvoir la replace plus près de ce même danger que vainement elle avait voulu fuir. Alors n’ayant plus que moi pour guide & pour appui, sans songer à me reprocher davantage une chute inévitable, elle m’implore pour la retarder. Les ferventes prières, les humbles supplications, tout ce que les mortels, dans leur crainte, offrent à la Divinité, c’est moi qui le reçois d’elle ; & vous voulez que, sourd à ses vœux, & détruisant moi-même le culte qu’elle me rend, j’emploie à la précipiter la puissance qu’elle invoque pour la soutenir ! Ah ! laissez-moi du moins le temps d’observer ces touchants combats entre l’amour & la vertu !

Eh quoi ! ce même spectacle qui vous fait courir au théâtre avec empressement, que vous y applaudissez avec fureur, le croyez-vous moins attachant dans la réalité ? Ces sentiments d’une âme pure & tendre, qui