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quand nous étions séparés tout à fait. Le chagrin que j’éprouvais par les autres, c’est à présent de vous qu’il me vient, & cela fait bien plus de mal.

Depuis quelques jours, maman n’est jamais chez elle, vous le savez bien ; & j’espérais que vous essaieriez de profiter de ce temps de liberté : mais vous ne songez seulement pas à moi ; je suis bien malheureuse ! Vous me disiez tant que c’était moi qui aimais le moins ! je savais bien le contraire, & en voilà bien la preuve. Si vous étiez venu pour me voir, vous m’auriez vue en effet : car moi, je ne suis pas comme vous ; je ne songe qu’à ce qui peut nous réunir. Vous mériteriez que je ne vous dise rien de tout ce que j’ai fait pour ça, & qui m’a donné tant de peine : mais je vous aime trop, & j’ai tant d’envie de vous voir, que je ne peux pas m’empêcher de vous le dire. Et puis, je verrai bien après si vous m’aimez réellement !

J’ai si bien fait que le portier est dans nos intérêts, & qu’il m’a promis que toutes les fois que vous viendriez, il vous laisserait toujours entrer comme s’il ne vous voyait pas : & nous pouvons bien nous fier à lui, car c’est un bien honnête homme. Il ne s’agit donc plus que d’empêcher qu’on ne vous voie dans la maison ; & ça, c’est bien aisé, en n’y venant que le soir, & quand il n’y aura plus rien à craindre du tout. Par exemple, depuis que maman sort tous les jours, elle se couche tous les soirs à onze heures ; ainsi nous aurions bien du temps.

Le portier m’a dit que, quand vous voudriez venir comme ça, au lieu de frapper à la porte, vous n’auriez