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trouvé, dans son amour, des ressources qui avaient manqué à mon expérience : enfin votre malheur veut qu’elle ait réussi. Depuis deux jours, m’a-t-elle dit ce soir, tous les obstacles sont surmontés, & votre bonheur ne dépend plus que de vous.

Depuis deux jours aussi, elle se flattait de vous apprendre cette nouvelle elle-même, & malgré l’absence de sa maman, vous auriez été reçu : mais vous ne vous êtes seulement pas présenté ; & pour vous dire tout, soit caprice ou raison, la petite personne m’a paru un peu fâchée de ce manque d’empressement de votre part. Enfin, elle a trouvé le moyen de me faire aussi parvenir jusqu’à elle, & m’a fait promettre de vous rendre le plus tôt possible la lettre que je joins ici. A l’empressement qu’elle y a mis, je parierais bien qu’il y est question d’un rendez-vous pour ce soir. Quoi qu’il en soit, j’ai promis, sur l’honneur & sur l’amitié, que vous auriez la tendre missive dans la journée, & je ne puis ni ne veux manquer à ma parole.

A présent, jeune homme, quelle conduite allez-vous tenir ? Placé entre la coquetterie & l’amour, entre le plaisir & le bonheur, quel va être votre choix ? Si je parlais encore au Danceny d’il y a trois mois, seulement à celui d’il y a huit jours, bien sûr de son cœur, je le serais de ses démarches ; mais le Danceny d’aujourd’hui, arraché par les femmes, courant les aventures, & devenu, suivant l’usage, un peu scélérat, préférera-t-il une jeune fille bien timide, qui n’a pour elle que sa beauté, son innocence & son amour, aux agréments d’une femme parfaitement usagée.