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le lieu de vos triomphes. Après avoir tenté de vous rendre votre sang-froid par ces considérations morales, revenons à nos affaires.

Savez-vous, vicomte, pourquoi je ne me suis jamais remariée ? Ce n’est assurément pas faute d’avoir trouvé assez de partis avantageux ; c’est uniquement pour que personne n’ait le droit de trouver à redire à mes actions. Ce n’est même pas que j’aie craint de ne plus pouvoir faire mes volontés, car j’aurais bien toujours fini par là ; mais c’est qu’il m’aurait gêné que quelqu’un eût eu seulement le droit de s’en plaindre ; c’est qu’enfin je ne voulais tromper que pour mon plaisir, & non par nécessité. Et voilà que vous m’écrivez la lettre la plus maritale qu’il soit possible de voir ! Vous ne m’y parlez que de torts de mon côté, & de grâces de la vôtre ! Mais comment donc peut-on manquer à celui à qui on ne doit rien ? je ne saurais le concevoir !

Voyons ; de quoi s’agit-il tant ? Vous avez trouvé Danceny chez moi, & cela vous a déplu ? à la bonne heure : mais qu’avez-vous pu en conclure ? ou que c’était l’effet du hasard, comme je vous le disais, ou celui de ma volonté, comme je ne vous le disais pas. Dans le premier cas, votre lettre est injuste ; dans le second ; elle est ridicule : c’était bien la peine d’écrire ? Mais vous êtes jaloux, & la jalousie ne raisonne pas. Eh bien ! je vais raisonner pour vous.

Ou vous avez un rival, ou vous n’en avez pas. Si vous en avez un, il faut plaire pour lui être préféré ; si vous n’en avez pas, il faut plaire encore pour éviter d’en avoir. Dans tous les cas, c’est la même conduite