Page:Choderlos de Laclos - Les Liaisons dangereuses, 1869, Tome 2.djvu/234

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Lettre CLI.

Le vicomte de Valmont à la marquise de Merteuil.

Sans doute, Marquise, que vous ne me croyez pas assez peu d’usage, pour penser que j’aie pu prendre le change sur le tête-à-tête où je vous ai trouvée ce soir, & sur l’étonnant hasard qui avait conduit Danceny chez vous ? Ce n’est pas que votre physionomie exercée n’ait su prendre à merveille l’expression du calme & de la sérénité, ni que vous vous soyez trahie par aucune de ces phrases, qui quelquefois échappent au trouble ou au repentir. Je conviens même encore que vos regards dociles vous ont parfaitement servie ; & que s’ils avaient su se faire croire aussi bien que se faire entendre, loin que j’eusse pris ou conservé le moindre soupçon, je n’aurais pas douté un moment du chagrin extrême que vous causait ce tiers importun. Mais, pour ne pas déployer en vain d’aussi grands talents, pour en obtenir le succès que vous vous en promettiez, pour produire enfin l’illusion que vous cherchiez à faire naître, il fallait donc auparavant former votre amant novice avec plus de soin.

Puisque vous commencez à faire des éducations, apprenez à vos élèves à ne pas rougir & se déconcerter à la moindre plaisanterie ; à ne pas nier si vivement, pour une seule femme, les mêmes choses dont ils se