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vent, où elle ne se souvenait pas d’être venue. Je lui répondis exactement, en supprimant seulement ce qui aurait pu la trop effrayer : & lorsqu’à mon tour je lui demandai comment elle se trouvait, elle me répondit qu’elle ne souffrait pas dans ce moment ; mais qu’elle avait été bien tourmentée pendant son sommeil, & qu’elle se sentait fatiguée. Je l’engageai à se tranquilliser & à parler peu ; après quoi, je refermai en partie ses rideaux, que je laissai seulement entr’ouverts, & je m’assis auprès de son lit. Dans le même temps, on lui proposa un bouillon qu’elle prit & qu’elle trouva bon.

Elle resta ainsi environ une demi-heure, durant laquelle elle ne parla que pour me remercier des soins que je lui avais donnés ; & elle mit dans ses remerciements l’agrément & la grâce que vous lui connaissez. Ensuite elle garda pendant quelque temps un silence absolu, qu’elle ne rompit que pour dire : « Ah ! oui, je me ressouviens d’être venue ici ; » & un moment après, elle s’écria douloureusement : « Mon amie, mon amie, plaignez-moi ; je retrouve tous mes malheurs. » Comme alors je m’avançai vers elle, elle saisit ma main, & s’y appuyant la tête : « Grand Dieu ! continua-t-elle, ne puis-je donc mourir ? » Son expression, plus encore que ses discours, m’attendrit jusqu’aux larmes ; elle s’en aperçut à ma voix, & me dit : « Vous me plaignez ! Ah ! si vous connaissiez… » Et puis s’interrompant : « Faites qu’on nous laisse seules, & je vous dirai tout. »

Ainsi que je crois vous l’avoir marqué, j’avais déjà des soupçons sur ce qui devait faire le sujet de cette