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mais depuis hier au soir cet espoir est détruit, & il ne m’en reste que le regret de l’avoir perdu. Un événement, bien indifférent en apparence, mais bien cruel par les suites qu’il a eues, a rendu l’état de la malade au moins aussi fâcheux qu’il était auparavant, si même il n’a pas empiré.

Je n’aurais rien compris à cette révolution subite, si je n’avais reçu hier l’entière confidence de notre malheureuse amie. Comme elle ne m’a pas laissé ignorer que vous étiez instruite aussi de toutes ses infortunes, je puis vous parler sans réserve sur sa triste situation.

Hier matin, quand je suis arrivée au couvent, on me dit que la malade dormait depuis plus de trois heures ; & son sommeil était si profond & si tranquille, que j’eus peur un moment qu’il ne fût léthargique. Quelque temps après, elle se réveilla, & ouvrit elle-même les rideaux de son lit. Elle nous regarda tous avec l’air de la surprise ; & comme je me levais pour aller à elle, elle me reconnut, me nomma, & me pria d’approcher. Elle ne me laissa le temps de lui faire aucune question, & me demanda où elle était, ce que nous faisions là, si elle était malade, & pourquoi elle n’était pas chez elle ? Je crus d’abord que c’était un nouveau délire, seulement plus tranquille que le précédent : mais je m’aperçus qu’elle entendait fort bien mes réponses. Elle avait en effet retrouvé sa tête, mais non pas sa mémoire.

Elle me questionna, avec beaucoup de détail, sur tout ce qui lui était arrivé depuis qu’elle était au cou-