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me conviennent. » J’ai remarqué hier par moi-même que cette phrase lui revient souvent.

Enfin Julie profita de cette espèce d’ordre, pour sortir & aller chercher du monde & des secours ; mais madame de Tourvel a refusé l’un & l’autre, avec les fureurs & les transports qui sont revenus si souvent depuis.

L’embarras où cela a mis tout le couvent a décidé la prieure à m’envoyer chercher hier à sept heures du matin… Il ne faisait pas jour. Je suis accourue sur-le-champ. Quand on m’a annoncée à madame de Tourvel, elle a paru reprendre sa connaissance, & a répondu : « Ah ! oui, qu’elle entre. » Mais quand j’ai été près de son lit, elle m’a regardée fixement, m’a pris la main qu’elle a serrée, & m’a dit d’une voix forte, mais sombre : « Je meurs pour ne vous avoir pas crue. » Aussitôt après, se cachant les yeux, elle est revenue à son discours le plus fréquent : « Qu’on me laisse seule, etc., » ; & toute connaissance s’est perdue.

Ce propos qu’elle m’a tenu, & quelques autres échappés dans son délire, me font craindre que cette cruelle maladie n’ait une cause plus cruelle encore. Mais respectons les secrets de notre amie, & contentons-nous de plaindre son malheur.

Toute la journée d’hier a été également orageuse, & partagée entre des accès de transport effrayant, & des moments d’un abattement léthargique, les seuls où elle prend & donne quelque repos. Je n’ai quitté le chevet de son lit qu’à neuf heures du soir, & je vais