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qu’entre ces deux sentiments : lequel est le véritable ? Que voulez-vous donc que je vous dise, quand moi-même je ne sais que penser ?

Vous paraissez vous faire un grand mérite de votre dernière scène avec la présidente ; mais qu’est-ce donc qu’elle prouve pour votre système, ou contre le mien ? Assurément je ne vous ai jamais dit que vous aimiez assez cette femme pour ne la pas tromper, pour n’en pas saisir toutes les occasions qui vous paraîtraient agréables ou faciles : je ne doutais même pas qu’il ne vous fût à peu près égal de satisfaire avec une autre, avec la première venue, jusqu’aux désirs que celle-ci seule aurait fait naître ; & je ne suis pas surprise que, par un libertinage d’esprit qu’on aurait tort de vous disputer, vous ayez fait une fois par projet ce que vous aviez fait mille autres par occasion. Qui ne sait que c’est là le simple courant du monde, & votre usage à tous tant que vous êtes, depuis le scélérat jusqu’aux espèces ? Celui qui s’en abstient aujourd’hui passe pour romanesque, & ce n’est pas là, je crois, le défaut que je vous reproche.

Mais ce que j’ai dit, ce que j’ai pensé, ce que je pense encore, c’est que vous n’en avez pas moins de l’amour pour votre présidente ; non pas, à la vérité, de l’amour bien pur ni bien tendre, mais de celui que vous pouvez avoir ; de celui, par exemple, qui fait trouver à une femme les agréments ou les qualités qu’elle n’a pas ; qui la place dans une classe à part, & met toutes les autres en second ordre ; qui vous tient encore attaché à elle, même alors que vous l’outragez ;