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innocent ; on n’est point coupable avec autant d’amour. Ces torts graves, offensants que je lui reprochais avec tant d’amertume, il ne les avait pas ; & si, sur un seul point, j’ai eu besoin d’indulgence, n’avais-je donc pas aussi mes injustices à réparer ?

Je ne vous ferai point le détail des faits ou des raisons qui le justifient ; peut-être même l’esprit les apprécierait mal : c’est au cœur seul qu’il appartient de les sentir. Si pourtant vous deviez me soupçonner de faiblesse, j’appellerais votre jugement à l’appui du mien. Pour les hommes, dites-vous vous-même, l’infidélité n’est pas l’inconstance.

Ce n’est pas que je ne sente que cette distinction, qu’en vain l’opinion autorise, n’en blesse pas moins la délicatesse ; mais de quoi se plaindrait la mienne, quand celle de Valmont en souffre plus encore ? Ce même tort que j’oublie, ne croyez pas qu’il se le pardonne ou s’en console ; & pourtant, combien n’a-t-il pas réparé cette légère faute par l’excès de son amour & celui de mon bonheur ?

Ou ma félicité est en effet plus grande, ou j’en sens mieux le prix depuis que j’ai craint de l’avoir perdue : mais ce que je puis vous dire, c’est que, si je me sentais la force de supporter encore des chagrins aussi cruels que ceux que je viens d’éprouver, je ne croirais pas en acheter trop cher le surcroît de bonheur que j’ai goûté depuis. O ma tendre mère ! grondez votre fille inconsidérée, de vous avoir affligée par trop de précipitation ; grondez-la d’avoir jugé témérairement & calomnié celui qu’elle ne devait pas cesser d’adorer ; mais