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devrais employer à la détruire. J’avouerai tout ; une autre considération me retient encore. Faut-il donc retracer des faits que je voudrais anéantir, & fixer votre attention & la mienne sur un moment d’erreur que je voudrais racheter du reste de ma vie, dont je suis encore à concevoir la cause, & dont le souvenir doit faire à jamais mon humiliation & mon désespoir ? Ah ! si, en m’accusant, je dois exciter votre colère, vous n’aurez pas au moins à chercher loin votre vengeance ; il vous suffira de me livrer à mes remords.

Cependant, qui le croirait ? cet événement cruel a pour première cause le charme tout puissant que j’éprouve auprès de vous. Ce fut lui qui me fit oublier trop longtemps une affaire importante, & qui ne pouvait se remettre. Je vous quittai trop tard, & ne trouvai plus la personne que j’allais chercher. J’espérais la rejoindre à l’Opéra, & ma démarche fut pareillement infructueuse. Emilie que j’y rencontrai, que j’ai connue dans un temps où j’étais bien loin de connaître ni vous ni l’amour ; Emilie n’avait pas sa voiture, & me demanda de la remettre chez elle à quatre pas de là. Je n’y vis aucune conséquence, & j’y consentis. Mais ce fut alors que je vous rencontrai ; & je sentis sur-le-champ que vous seriez portée à me juger coupable.

La crainte de vous déplaire ou de vous affliger, est si puissante sur moi, qu’elle dut être & fut en effet bientôt remarquée. J’avoue même qu’elle me fit tenter d’engager cette fille à ne pas se montrer ; cette précaution de la délicatesse a tourné contre l’amour. Accoutumée, comme toutes celles de son état, à