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de la continuer ! C’est celui de mon désespoir qui m’accable à présent ; qui ne me laisse de force que pour sentir mes douleurs, & m’ôte celle de les exprimer.

Valmont… Valmont ne m’aime plus, il ne m’a jamais aimée. L’amour ne s’en va pas ainsi. Il me trompe, il me trahit, il m’outrage. Tout ce qu’on peut réunir d’infortune, d’humiliations, je les éprouve, & c’est de lui qu’elles me viennent !

Et ne croyez pas que ce soit un simple soupçon : j’étais si loin d’en avoir ! Je n’ai pas le bonheur de pouvoir douter. Je l’ai vu : que pourrait-il me dire pour se justifier ?… Mais que lui importe ! il ne le tentera seulement pas… Malheureuse ! que lui feront tes reproches & tes larmes ? c’est bien de toi qu’il s’occupe !…

Il est donc vrai qu’il m’a sacrifiée, livrée même… & à qui ? une vile créature… Mais que dis-je ? Ah ! j’ai perdu jusqu’au droit de la mépriser. Elle a trahi moins de devoirs, elle est moins coupable que moi. Oh ! que la peine est douloureuse, quand elle s’appuie sur le remords ! Je sens mes tourments qui redoublent. Adieu, ma chère amie ; quelque indigne que je me sois rendue de votre pitié, vous en aurez cependant pour moi, si vous pouvez vous former l’idée de ce que je souffre.

Je viens de relire ma lettre, & je m’aperçois qu’elle ne peut vous instruire de rien ; je vais donc tâcher d’avoir le courage de vous raconter ce cruel événement. C’était hier ; je devais, pour la première fois, depuis