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seuls j’existe, au moins vous verrez votre ouvrage, & votre pitié me restera : cette faveur légère, quand même je ne la mériterais pas, je me soumets, ce me semble, à la payer assez cher, pour espérer de l’obtenir.

Quoi ! vous allez m’éloigner de vous ! Vous consentez donc à ce que nous devenions étrangers l’un à l’autre ! que dis-je ? vous le désirez ; & tandis que vous m’assurez que mon absence n’altérera point vos sentiments, vous ne pressez mon départ que pour travailler plus facilement à les détruire !

Déjà, vous me parlez de les remplacer par de la reconnaissance. Ainsi le sentiment qu’obtiendrait de vous un inconnu pour le plus léger service, votre ennemi même, en cessant de vous nuire, voilà ce que vous m’offrez ! & vous voulez que mon cœur s’en contente ! Interrogez le vôtre : si votre amant, si votre ami, venaient un jour vous parler de leur reconnaissance, ne leur diriez-vous pas avec indignation : Retirez-vous, vous êtes des ingrats ?

Je m’arrête & réclame votre indulgence. Pardonnez l’expression d’une douleur que vous faites naître : elle ne nuira point à ma soumission parfaite. Mais je vous conjure à mon tour, au nom de ces sentiments si doux que vous-même vous réclamez, ne refusez pas de m’entendre ; & par pitié du moins pour le trouble mortel où vous m’avez plongé, n’en éloignez pas le moment. Adieu, Madame.

De … ce 27 septembre 17… au soir.