Page:Choderlos de Laclos - Les Liaisons dangereuses, 1869, Tome 2.djvu/178

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

jugez-vous donc depuis quelque temps, si, même dans votre indulgence, vous doutez encore de mes sentiments ou de mon énergie ? Des sacrifices que je ne voudrais ou ne pourrais pas faire ! Ainsi donc, vous me croyez amoureux, subjugué ? & le prix que j’ai mis au succès, vous me soupçonnez de l’attacher à la personne ? Ah ! grâce au Ciel, je n’en suis pas encore réduit là, & je m’offre à vous le prouver. Oui, je vous le prouverai, quand même ce devrait être envers madame de Tourvel. Assurément, après cela, il ne doit plus vous rester de doute.

J’ai pu, je crois, sans me compromettre, donner quelque temps à une femme, qui a au moins le mérite d’être d’un genre qu’on rencontre rarement. Peut-être aussi la saison morte dans laquelle est venue cette aventure, m’a fait m’y livrer davantage ; & encore à présent, qu’à peine le grand courant commence à reprendre, il n’est pas étonnant qu’elle m’occupe presque en entier. Mais songez donc qu’il n’y a guère que huit jours que je jouis du fruit de trois mois de soins. Je me suis si souvent arrêté davantage à ce qui valait bien moins, & ne m’avait pas tant coûté !... & jamais vous n’en avez rien conclu contre moi.

Et puis, voulez-vous savoir la véritable cause de l’espèce d’empressement que j’y mets ? la voici. Cette femme est naturellement timide ; dans les premiers jours, elle doutait sans cesse de son bonheur, & ce doute suffisait pour le troubler : en sorte que je commence à peine à pouvoir remarquer jusqu’où va ma puissance en ce genre. C’est une chose que j’étais pourtant