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silence, en compensation d’un peu d’humeur que j’ai mis peut-être dans ma dernière lettre.

A présent, vicomte, il ne me reste plus qu’à vous faire une demande ; & elle est encore autant pour vous que pour moi : c’est de différer un moment que je désire peut-être autant que vous, mais dont il me semble que l’époque doit être retardée jusqu’à mon retour à la ville. D’une part, nous n’aurions pas ici la liberté nécessaire ; &, de l’autre, j’y aurais quelque risque à courir : car il ne faudrait qu’un peu de jalousie, pour m’attacher de plus belle ce triste Belleroche, qui pourtant ne tient plus qu’à un fil. Il en est déjà à se battre les flancs pour m’aimer ; c’est au point, qu’à présent je mets quelque fois autant de malice que de prudence dans les caresses dont je le surcharge. Mais, en même temps, vous voyez bien que ce ne serait pas là un sacrifice à vous faire ; une infidélité réciproque rendra la charme bien plus piquant.

Savez-vous que je regrette quelquefois que nous en soyons réduits à ces ressources ? Dans le temps où nous nous aimions, car je crois que c’était de l’amour, j’étais heureuse ; & vous, vicomte ?… Mais pourquoi s’occuper encore d’un bonheur qui ne peut revenir ! non, quoi que vous en disiez, c’est un retour impossible. D’abord, j’exigerais des sacrifices que sûrement vous ne pourriez ou ne voudriez pas me faire, & qu’il se peut bien que je ne mérite pas ; & puis, comment vous fixer ! Oh ! non, non, je ne veux seulement pas m’occuper de cette idée ; & malgré le plaisir que je