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Plaire, n’est pour lui qu’un moyen de succès ; tandis que pour elle, c’est le succès lui-même. Et la coquetterie, si souvent reprochée aux femmes, n’est autre chose que l’abus de cette façon de sentir, & par là même en prouve la réalité. Enfin ce goût exclusif, qui caractérise particulièrement l’amour, n’est dans l’homme qu’une préférence, qui sert, au plus, à graduer un plaisir, qu’un autre objet affaiblirait peut-être, mais ne détruirait pas ; tandis que dans les femmes, c’est un sentiment profond, qui non seulement anéantit tout désir étranger, mais qui, plus fort que la nature, & soustrait à son empire, ne leur laisse éprouver que répugnance & dégoût, là-même où semble devoir naître la volupté.

Et n’allez pas croire que des exceptions plus ou moins nombreuses, & qu’on peut citer, puissent s’opposer avec succès à ces vérités générales. Elles ont pour garant la voix publique, qui, pour les hommes seulement, a distingué l’infidélité de l’inconstance : distinction dont ils se prévalent, quand ils devraient en être humiliés ; & qui, pour notre sexe, n’a jamais été adoptée que par ces femmes dépravées qui en font la honte, & à qui tout moyen paraît bon, dès qu’elles espèrent pouvoir les sauver du sentiment pénible de leur bassesse.

J’ai cru, ma chère belle, qu’il pourrait vous être utile d’avoir ces réflexions à opposer aux idées chimériques d’un bonheur parfait, dont l’amour ne manque jamais d’abuser notre imagination : espoir trompeur, auquel on tient encore, même alors qu’on se voit