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Ce n’est pas que je n’aie des moments cruels ; mais quand mon cœur est le plus déchiré, quand je crains de ne pouvoir plus supporter mes tourments, je me dis : Valmont est heureux ; & tout disparaît devant cette idée, ou plutôt elle change tout en plaisirs.

C’est donc à votre neveu que je me suis consacrée ; c’est pour lui que je me suis perdue. Il est devenu le centre unique de mes pensées, de mes sentiments, de mes actions. Tant que ma vie sera nécessaire à son bonheur, elle me sera précieuse, & je la trouverai fortunée. Si quelque jour, il en juge autrement… il n’entendra de ma part ni plainte ni reproche. J’ai déjà osé fixer les yeux sur ce moment fatal, & mon parti est pris.

Vous voyez à présent combien peu doit m’affecter la crainte que vous paraissez avoir, qu’un jour M. de Valmont ne me perde : car avant de le vouloir, il aura donc cessé de m’aimer ; & que me feront alors de vains reproches que je n’entendrai pas ? Seul, il sera mon juge. Comme je n’aurai vécu que pour lui, ce sera en lui que reposera ma mémoire ; & s’il est forcé de reconnaître que je l’aimais, je serai suffisamment justifiée.

Vous venez, Madame, de lire dans mon cœur. J’ai préféré le malheur de perdre votre estime, par ma franchise, à celui de m’en rendre indigne par l’avilissement du mensonge. J’ai cru devoir cette entière confiance à vos anciennes bontés pour moi. Ajouter un mot de plus pourrait vous faire soupçonner que j’ai