Page:Choderlos de Laclos - Les Liaisons dangereuses, 1869, Tome 2.djvu/153

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

quel point vous fûtes adorée, & de combien ce sentiment m’était plus cher que mon existence ! Puissent tous vos jours être fortunés & tranquilles ! puissent-ils s’embellir de tout le bonheur dont vous m’avez privé ! Payez au moins ce vœu sincère par un regret, par une larme ; & croyez que le dernier de mes sacrifices ne sera pas le plus pénible à mon cœur. Adieu. »

Tandis que je parlais ainsi, je sentais son cœur palpiter avec violence ; j’observais l’altération de sa figure ; je voyais surtout les larmes la suffoquer, & ne couler cependant que rares & pénibles. Ce ne fut qu’alors que je pris le parti de feindre de m’éloigner ; aussi me retenant avec force : « Non, écoutez-moi, dit-elle vivement. — Laissez-moi, répondis-je. — Vous m’écouterez, je le veux. — Il faut vous fuir, il le faut ! — Non ! s’écria-t-elle… » A ce dernier mot elle se précipita, ou plutôt tomba évanouie entre mes bras. Comme je doutais encore d’un si heureux succès, je feignis un grand effroi ; mais tout en m’effrayant, je la conduisais, ou la portais, vers le lieu précédemment désigné pour le champ de ma gloire ; & en effet, elle ne revint à elle que soumise & déjà livrée à son heureux vainqueur.

Jusque-là, ma belle amie, vous me trouverez, je crois, une pureté de méthode qui vous fera plaisir ; & vous verrez que je ne me suis écarté en rien des vrais principes de cette guerre, que nous avons remarqué souvent être si semblable à l’autre. Jugez-moi donc comme Turenne ou Frédéric. J’ai forcé à combattre l’ennemi qui ne voulait que temporiser ; je me suis