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plusieurs fois que les scènes de désespoir menées trop vivement, tombaient dans le ridicule dès qu’elles devenaient longues, ou ne laissaient que des ressources vraiment tragiques, & que j’étais fort éloigné de vouloir prendre. Cependant tandis qu’elle se dérobait à moi, j’ajoutai d’un ton bas & sinistre, mais de façon qu’elle pût m’entendre. « Hé bien ! la mort ! »

Je me relevai alors ; & gardant un moment le silence, je jetais sur elle, comme au hasard, des regards farouches, qui, pour avoir l’air d’être égarés, n’en étaient pas moins clairvoyants & observateurs. Le maintien mal assuré, la respiration haute, la contraction de tous les muscles, les bras tremblants & à demi levés, tout me prouvait assez que l’effet avait été tel que j’avais voulu le produire ; mais, comme en amour rien ne se finit que de très près, & que nous étions alors assez loin l’un de l’autre, il fallait avant tout se rapprocher. Ce fut pour y parvenir, que je passai le plus tôt possible à une apparente tranquillité, propre à calmer les effets de cet état violent, sans en affaiblir l’impression.

Ma transition fut : « Je suis bien malheureux ! J’ai voulu vivre pour votre bonheur, & je l’ai troublé. Je me dévoue pour votre tranquillité, & je la trouble encore. » Ensuite d’un air composé, mais contraint : « Pardon, Madame : peu accoutumé aux orages des passions, je sais mal en réprimer les mouvements. Si j’ai eu tort de m’y livrer, songez au moins que c’est pour la dernière fois. Ah ! calmez-vous, calmez-vous, je vous en conjure. » Et pendant cette longue phrase, je me rapprochais insensiblement. « Si