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lui permirent pas de rester dans cette situation : elle se rassit sur-le-champ. Comme le domestique qui m’avait introduit eut quelque service à faire dans l’appartement, elle en parut impatientée. Nous remplîmes cet intervalle par les compliments d’usage. Mais pour ne rien perdre d’un temps dont tous les moments étaient précieux, j’examinais soigneusement le local ; & dès lors, je marquai de l’œil le théâtre de ma victoire. J’aurais pu en choisir un plus commode : car, dans cette même chambre, il se trouvait une ottomane. Mais je remarquai qu’en face d’elle était un portrait du mari ; & j’eus peur, je l’avoue, qu’avec une femme si singulière, un seul regard que le hasard dirigerait de ce côté, ne détruisît en un moment l’ouvrage de tant de soins. Enfin nous restâmes seuls & j’entrai en matière.

Après avoir exposé, en peu de mots, que le père Anselme avait dû informer des motifs de ma visite, je me suis plaint du traitement rigoureux que j’avais éprouvé ; & j’ai particulièrement appuyé sur le mépris qu’on m’avait témoigné. On s’en est défendue, comme je m’y attendais ; &, comme vous vous y attendez bien aussi, j’en ai fondé la preuve sur la méfiance & l’effroi que j’avais inspirés ; sur la fuite scandaleuse qui s’en était suivie, le refus de répondre à mes lettres, celui même de les recevoir, etc., etc. Comme on commençait une justification qui aurait été bien facile, j’ai cru devoir l’interrompre ; & pour me faire pardonner cette manière brusque, je l’ai couverte aussitôt par la cajolerie. « Si tant de charmes, ai-je