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pour qu’il fût entier, il y manquait que M. de Valmont ne le partageât point. Vous avouerai-je que cette idée est à présent ce qui me tourmente le plus ? Insupportable orgueil qui adoucit les maux que nous éprouvons par ceux que nous faisons souffrir ! Ah ! je vaincrai ce cœur rebelle, je l’accoutumerai aux humiliations.

C’est surtout pour y parvenir que j’ai enfin consenti à recevoir jeudi prochain la pénible visite de M. de Valmont. Là, je l’entendrai me dire lui-même que je ne lui suis plus rien, que l’impression faible et passagère que j’avais faite sur lui est entièrement effacée ! Je verrai ses regards se porter sur moi sans émotion, tandis que la crainte de déceler la mienne me fera baisser les yeux. Ces mêmes lettres qu’il refusa si longtemps à mes demandes réitérées, je les recevrai de son indifférence ; il me les remettra comme des objets inutiles, et qui ne l’intéressent plus ; et mes mains tremblantes, en recevant ce dépôt honteux, sentiront qu’il leur est remis d’une main ferme et tranquille ! Enfin, je le verrai s’éloigner… s’éloigner pour jamais, et mes regards qui le suivront ne verront pas les siens se retourner sur moi !

Et j’étais réservée à tant d’humiliation ! Ah ! que du moins je me la rende utile, en me pénétrant par elle du sentiment de ma faiblesse… Oui, ces lettres qu’il ne se soucie plus de garder, je les conserverai précieusement. Je m’imposerai la honte de les relire chaque jour, jusqu’à ce que mes larmes en aient effacé les dernières traces ; & les siennes, je les brûlerai comme