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aucune instance, aimant mes amis pour eux-mêmes ; c’est à cette phrase si simple, que, serrant mes mains et parlant avec une véhémence que je ne puis vous rendre : « Oui, ma tante, m’a-t-il dit, aimez, aimez beaucoup un neveu qui vous respecte et vous chérit, et, comme vous dites, aimez-le pour lui-même. Ne vous affligez pas de son bonheur et ne troublez par aucun regret l’éternelle tranquillité dont il espère jouir bientôt. Répétez-moi que vous m’aimez, que vous me pardonnez ; oui, vous me pardonnerez ; je connais votre bonté, mais comment espérer la même indulgence de ceux que j’ai tant offensés ? » Alors il s’est baissé sur moi, pour me cacher, je crois, des marques de douleur, que le son de sa voix me décelait malgré lui.

Émue plus que je ne puis le dire, je me suis levée précipitamment et sans doute il a remarqué mon effroi, car sur-le-champ se composant davantage : « Pardon, a-t-il repris, pardon, madame, je sens que je m’égare malgré moi. Je vous prie d’oublier mes discours et de vous souvenir seulement de mon profond respect. Je ne manquerai pas, a-t-il ajouté, d’aller vous en renouveler l’hommage avant mon départ. » Il m’a semblé que cette dernière phrase m’engageait à terminer ma visite, et je me suis en allée en effet.

Mais plus j’y réfléchis et moins je devine ce qu’il a voulu dire. Quelle est cette affaire : la plus grande de sa vie ? à quel sujet me demande-t-il pardon ? D’où lui est venu cet attendrissement involontaire en me