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défait et ayant surtout la physionomie altérée. Son regard, que nous avons vu si vif et si gai, était triste et abattu ; enfin, soit dit entre nous, je n’aurais pas voulu que vous le vissiez ainsi : car il avait l’air très touchant et très propre, à ce que je crois, à inspirer cette tendre pitié, qui est un des plus dangereux pièges de l’amour.

Quoique frappée de mes remarques, j’ai pourtant commencé la conversation comme si je ne m’étais aperçue de rien. Je lui ai d’abord parlé de sa santé et, sans me dire qu’elle soit bonne, il ne m’a point articulé pourtant qu’elle fût mauvaise. Alors je me suis plainte de sa retraite qui avait un peu l’air d’une manie, et je tâchais de mêler un peu de gaieté à ma petite réprimande ; mais lui m’a répondu seulement, et d’un ton pénétré : « C’est un tort de plus, je l’avoue, mais il sera réparé avec les autres. » Son air, plus encore que ses discours, a un peu dérangé mon enjouement et je me suis hâtée de lui dire qu’il mettait trop d’importance à un simple reproche de l’amitié.

Nous nous sommes donc remis à causer tranquillement. Il m’a dit peu de temps après, que peut-être une affaire, la plus grande affaire de sa vie, le rappellerait bientôt à Paris ; mais comme j’avais peur de la deviner, ma chère belle, et que ce début ne me menât à une confidence dont je ne voulais pas, je ne lui ai fait aucune question et je me suis contentée de lui répondre que j’espérais que plus de dissipation serait utile à sa santé. J’ai ajouté que pour cette fois je ne lui ferais