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je vous préviens que si vous ne vous corrigez pas, vous n’aurez plus de réponse de moi. Quittez donc, si vous m’en croyez, ce ton de cajolerie, qui n’est plus que du jargon, dès qu’il n’est pas l’expression de l’amour. Est-ce donc là le style de l’amitié ? non, mon ami : chaque sentiment a son langage qui lui convient ; & se servir d’un autre, c’est déguiser la pensée qu’on exprime. Je sais bien que nos petites femmes n’entendent rien de ce qu’on peut leur dire, s’il n’est traduit, en quelque sorte, dans ce jargon d’usage ; mais je croyais mériter, je l’avoue, que vous me distinguassiez d’elles. Je suis vraiment fâchée, & peut-être plus que je ne devrais l’être, que vous m’ayez si mal jugée.

Vous ne trouverez donc dans ma lettre que ce qui manque à la vôtre, franchise & simplesse. Je vous dirai bien, par exemple, que j’aurais grand plaisir à vous voir, & que je suis contrariée de n’avoir auprès de moi que des gens qui m’ennuient, au lieu de gens qui me plaisent ; mais vous, cette même phrase, vous la traduisez ainsi : Apprenez-moi à vivre où vous n’êtes pas ; en sorte que quand vous serez, je suppose, auprès de votre maîtresse, vous ne sauriez pas y vivre que je n’y sois en tiers. Quelle pitié ! & ces femmes, à qui il manque toujours d’être moi, vous trouvez peut-être aussi que cela manque à votre Cécile ? voilà pourtant où conduit un langage qui, par l’abus qu’on en fait aujourd’hui, est encore au-dessous du jargon des compliments, & ne devient plus qu’un simple protocole, auquel on ne croit pas davantage qu’au très-humble serviteur.