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Lettre CXVIII.

Le chevalier Danceny à la marquise de Merteuil.

Si j’en crois mon almanach, il n’y a, mon adorable amie, que deux jours que vous êtes absente ; mais, si j’en crois mon cœur, il y a deux siècles. Or, je le tiens de vous-même, c’est toujours son cœur qu’il faut croire ; il est donc bien temps que vous reveniez, & toutes vos affaires doivent être plus que finies. Comment voulez-vous que je m’intéresse à votre procès, si, perte ou gain, j’en dois également payer les frais par l’ennui de votre absence ? Oh ! que j’aurais envie de quereller ! & qu’il est triste, avec un si beau sujet d’avoir de l’humeur, de n’avoir pas le droit d’en montrer !

N’est-ce pas cependant une véritable infidélité, une noire trahison, que de laisser votre ami loin de vous, après l’avoir accoutumé à ne pouvoir plus se passer de votre présence ? Vous aurez beau consulter vos avocats, ils ne vous trouveront pas de justification pour ce mauvais procédé ; & puis, ces gens-là ne disent que des raisons, & des raisons ne suffisent pas pour répondre à des sentiments.

Pour moi, vous m’avez tant dit que c’était par raison que vous faisiez ce voyage, que vous m’avez tout à fait brouillé avec elle. Je ne veux plus du tout l’entendre ; pas même quand elle me dit de vous oublier. Cette raison-là est pourtant bien raisonnable ; & au