d’elle ? & si nous pouvions être heureux sans que j’aie rien à me reprocher, est-ce que cela ne vaudrait pas bien mieux ? Si j’en crois ce qu’on m’a dit souvent, les hommes même n’aiment plus tant leurs femmes, quand elles les ont trop aimés avant de l’être. Cette crainte-là me retient encore plus que tout le reste. Mon ami, n’êtes-vous pas sûr de mon cœur, & ne sera-t-il pas toujours temps ?
Écoutez, je vous promets que, si je ne peux pas éviter le malheur d’épouser ce M. de Gercourt, que je hais déjà tant avant de le connaître, rien ne me retiendra plus pour être à vous autant que je pourrai, & même avant tout. Comme je ne me soucie d’être aimée que de vous, & que vous verrez bien si je fais mal, il n’y aura pas de ma faute, le reste me sera bien égal, pourvu que vous me promettiez de m’aimer toujours autant que vous faites. Mais, mon ami, jusque-là, laissez-moi continuer comme je fais ; & ne me demandez plus une chose que j’ai de bonnes raisons pour ne pas faire, & que pourtant il me fâche de vous refuser.
Je voudrais bien aussi que M. de Valmont ne fût pas si pressant pour vous ; cela ne sert qu’à me rendre plus chagrine encore. Oh ! vous avez là un bien bon ami, je vous assure ! Il fait tout comme vous feriez vous-même. Mais adieu, mon cher ami ; j’ai commencé bien tard à vous écrire, & j’y ai passé une partie de la nuit. Je vais me coucher & réparer le temps perdu. Je vous embrasse ; mais ne me grondez plus.