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magée de tant de sacrifices, par un mot, par un regard, qu’encore elle n’obtiendra pas toujours. Je ferai plus, je la quitterai ; & je ne connais pas cette femme, ou je n’aurai point de successeur. Elle résistera au besoin de consolation, à l’habitude du plaisir, au désir même de la vengeance. Enfin, elle n’aura existé que pour moi ; & que sa carrière soit plus ou moins longue, j’en aurai seul ouvert & fermé la barrière. Une fois parvenu à ce triomphe, je dirai à mes rivaux : « Voyez mon ouvrage, & cherchez-en dans le siècle un second exemple ! »

Vous allez me demander d’où me vient aujourd’hui cet excès de confiance ? c’est que depuis huit jours je suis dans la confidence de ma belle ; elle ne me dit pas ses secrets, mais je les surprends. Deux lettres d’elle à madame de Rosemonde m’ont suffisamment instruit, & je ne lirai plus les autres que par curiosité. Je n’ai absolument besoin, pour réussir, que de me rapprocher d’elle, & mes moyens sont trouvés. Je vais incessamment les mettre en usage.

Vous êtes curieuse, je crois… ? Mais non, pour vous punir de ne pas croire à mes intentions, vous ne les saurez pas. Tout de bon, vous mériteriez que je vous retirasse ma confiance, au moins pour cette aventure : en effet, sans le doux prix attaché par vous à son succès, je ne vous en parlerais plus. Vous voyez que je suis fâché. Cependant, dans l’espoir que vous vous corrigerez, je veux bien m’en tenir à cette punition légère ; & revenant à l’indulgence, j’oublie un