Page:Choderlos de Laclos - Les Liaisons dangereuses, 1869, Tome 2.djvu/109

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qu’elle n’aura pas le mérite de la difficulté ; mais au moins sera-ce une distraction, & je m’ennuie à périr.

Je ne sais pourquoi, depuis l’aventure de Prévan, Belleroche m’est devenu insupportable. Il a tellement redoublé d’attention, de tendresse, de vénération, que je n’y peux plus tenir. Sa colère, dans le premier moment, m’avait paru plaisante ; il a pourtant bien fallu la calmer, car c’eût été me compromettre que de le laisser faire : & il n’y avait pas moyen de lui faire entendre raison. J’ai donc pris le parti de lui montrer plus d’amour, pour en venir à bout plus facilement : mais lui, a pris cela au sérieux ; & depuis ce temps il m’excède par son enchantement éternel. Je remarque surtout l’insultante confiance qu’il prend en moi, & la sécurité avec laquelle il me regarde comme à lui pour toujours. J’en suis vraiment humiliée. Il me prise donc bien peu, s’il croit valoir assez pour me fixer ! Ne me disait-il pas dernièrement que je n’aurais jamais aimé un autre que lui. Oh ! pour le coup, j’ai eu besoin de toute ma prudence, pour ne pas le détromper sur-le-champ, en lui disant ce qui en était. Voilà, certes, un plaisant Monsieur, pour avoir un droit exclusif ! Je conviens qu’il est bien fait & d’une assez belle figure : mais, à tout prendre, ce n’est, au fait, qu’un manœuvre d’amour. Enfin le moment est venu, il faut nous séparer.

J’essaie déjà depuis près de quinze jours, & j’ai employé, tour à tour, la froideur, le caprice, l’humeur, les querelles ; mais le tenace personnage ne quitte pas prise ainsi : il faut donc prendre un parti plus violent ; en