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humilié. Au moins ici, pourrez-vous trouver quelque occasion de reparaître avec éclat, & vous en avez besoin ; & quand vous vous obstineriez à votre ridicule aventure, je ne vois pas que votre retour puisse y nuire ; au contraire.

En effet, si votre présidente vous adore, comme vous me l’avez tant dit & si peu prouvé, son unique consolation, son seul plaisir, doivent être à présent de parler de vous, & de savoir ce que vous faites, ce que vous dites, ce que vous pensez, & jusqu’à la moindre des choses qui vous intéressent. Ces misères-là prennent du prix, en raison des privations qu’on éprouve. Ce sont les miettes de pain tombantes de la table du riche : celui-ci les dédaigne ; mais le pauvre les recueille avidement & s’en nourrit. Or, la pauvre présidente reçoit à présent toutes ces miettes-là ; & plus elle en aura, moins elle sera pressée de se livrer à l’appétit du reste.

De plus, puisque vous connaissez sa confidente, vous ne doutez pas que chaque lettre d’elle ne contienne au moins un petit sermon, & tout ce qu’elle croit propre à corroborer sa sagesse & fortifier sa vertu[1]. Pourquoi donc laisser à l’une des ressources pour se défendre, & à l’autre pour vous nuire ?

Ce n’est pas que je sois du tout de votre avis sur la perte que vous croyez avoir faite au changement de confidente. D’abord, madame de Volanges vous hait, & la haine est toujours plus clairvoyante & plus ingé-

  1. On ne s’avise jamais de tout ! Comédie.