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DANGEREUSES.

jour emporte avec lui l’espoir qu’il avait amené ! Quelle est donc cette amitié que vous consentez qui subsiste entre nous, si elle n’est pas même assez puissante pour vous rendre sensible à ma peine ; si elle vous laisse froide & tranquille, tandis que j’éprouve tous les tourments d’un feu que je ne puis éteindre ; si loin de vous inspirer de la confiance, elle ne suffit pas même pour faire naître votre pitié ? Quoi ! votre ami souffre, & vous ne faites rien pour le secourir ! Il ne vous demande qu’un mot, & vous le lui refusez ! & vous voulez qu’il se contente d’un sentiment si faible, dont vous craignez encore de lui réitérer les assurances.

Vous ne voudriez pas être ingrate, disiez-vous hier : ah ! croyez-moi, mademoiselle, vouloir payer de l’amour avec de l’amitié, ce n’est pas craindre l’ingratitude, c’est redouter seulement d’en avoir l’air. Cependant je n’ose plus vous entretenir d’un sentiment qui ne peut que vous être à charge, s’il ne vous intéresse pas ; il faut au moins le renfermer en moi-même, en attendant que j’apprenne à le vaincre. Je sens combien ce travail sera pénible ; je ne me dissimule pas que j’aurai besoin de toutes mes forces ; je tenterai tous les moyens ; il en est un qui coûtera le plus à mon cœur, ce sera celui de me répéter souvent que le vôtre est insensible. J’essaierai même de vous voir moins, & déjà je m’occupe d’en trouver un prétexte plausible.

Quoi ! je perdrais la douce habitude de vous voir chaque jour ! Ah ! du moins, je ne cesserai jamais de la regretter. Un malheur éternel sera le prix de l’a-