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LES LIAISONS

révoltante de me voir confondue avec les femmes que vous méprisez, & traitée aussi légèrement qu’elles ; toutes ces causes réunies ont provoqué mes larmes, & ont pu me faire dire, avec raison je crois, que j’étais malheureuse. Cette expression, que vous trouvez si forte, serait sûrement beaucoup trop faible encore, si mes pleurs & mes discours avaient eu un autre motif ; si au lieu de désapprouver des sentiments qui doivent m’offenser, j’avais pu craindre de les partager.

Non, monsieur, je n’ai pas cette crainte ; si je l’avais, je fuirais à cent lieues de vous, j’irais pleurer dans un désert le malheur de vous avoir connu. Peut-être même, malgré la certitude où je suis de ne point vous aimer, de ne vous aimer jamais, peut-être aurais-je mieux fait de suivre les conseils de mes amis ; de ne pas vous laisser approcher de moi.

J’ai cru, & c’est là mon seul tort, j’ai cru que vous respecteriez une femme honnête, qui ne demandait pas mieux que de vous trouver tel & de vous rendre justice ; qui déjà vous défendait, tandis que vous l’outragiez par vos vœux criminels. Vous ne me connaissez pas ; non, monsieur, vous ne me connaissez pas. Sans cela, vous n’auriez pas cru vous faire un droit de vos torts : parce que vous m’avez tenu des discours que je ne devais pas entendre, vous ne vous seriez pas cru autorisé à m’écrire une lettre que je ne devais pas lire : et vous me demandez de guider vos démarches, de dicter vos discours ! Eh bien, monsieur, le silence et l’oubli, voilà les conseils qu’il me con-