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LES LIAISONS

bien que ce sont les deux personnes que j’aime le mieux. Quand l’heure où j’aurais dû y être aussi est arrivée, mon cœur s’est serré malgré moi. Je me déplaisais à tout, & j’ai pleuré, pleuré, sans pouvoir m’en empêcher. Heureusement maman était couchée & ne pouvait pas me voir. Je suis bien sûre que le chevalier Danceny aurait été fâché aussi ; mais il aura été distrait par le spectacle & par tout le monde ; c’est bien différent.

Par bonheur maman va mieux aujourd’hui, & madame de Merteuil viendra avec une autre personne & le chevalier Danceny : mais elle arrive toujours bien tard, madame de Merteuil ; et quand on est si longtemps toute seule, c’est bien ennuyeux. Il n’est encore que onze heures. Il est vrai qu’il faut que je joue de la harpe ; et puis ma toilette me prendra un peu de temps, car je veux être bien coiffée aujourd’hui. Je crois que la mère Perpétue a raison, & qu’on devient coquette dès qu’on est dans le monde. Je n’ai jamais eu tant d’envie d’être jolie que depuis quelques jours, & je trouve que je ne le suis pas autant que je le croyais, & puis, auprès des femmes qui ont du rouge, on perd beaucoup. Madame de Merteuil, par exemple, je vois bien que tous les hommes la trouvent plus jolie que moi : cela ne me fâche pas beaucoup, parce qu’elle m’aime bien ; & puis elle assure que le chevalier Danceny me trouve plus jolie qu’elle. C’est bien honnête à elle de me l’avoir dit ! elle avait même l’air d’en être bien aise. Par exemple je ne conçois pas ça. C’est qu’elle m’aime tant ! & lui !… oh ! ça m’a fait