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LES LIAISONS

qui envoient régulièrement savoir des nouvelles de leurs amis malades, mais qui ne se font jamais rendre la réponse. Vous finissez votre dernière lettre par me demander si le chevalier est mort. Je ne réponds pas, & vous ne vous en inquiétez pas davantage. Ne savez-vous plus que mon amant est votre ami-né ? Mais rassurez-vous, il n’est point mort ; ou s’il l’était, ce serait de l’excès de sa joie : Ce pauvre chevalier, comme il est tendre ! comme il est fait pour l’amour ! comme il sait sentir vivement ! la tête m’en tourne. Sérieusement, le bonheur parfait qu’il trouve à être aimé de moi, m’attache véritablement à lui.

Ce même jour, où je vous écrivais que j’allais travailler à notre rupture, combien je le rendis heureux ! Je m’occupais pourtant tout de bon des moyens de le désespérer, quand on me l’annonça. Soit caprice ou raison, jamais il ne me parut si bien. Je le reçus cependant avec humeur. Il espérait passer deux heures avec moi, avant celle où ma porte serait ouverte à tout le monde. Je lui dis que j’allais sortir : il me demanda où j’allais ; je refusai de le lui apprendre. Il insista : Où vous ne serez pas, repris-je avec aigreur. Heureusement pour lui, il resta pétrifié de cette réponse ; car s’il eût dit un mot, il s’ensuivait immanquablement une scène qui eût amené la rupture que j’avais projetée. Étonnée de son silence, je jetai les yeux sur lui, sans autre projet, je vous jure, que de voir la mine qu’il faisait. Je retrouvai sur cette charmante figure cette tristesse à la fois profonde & ten-