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LES LIAISONS

chant & ma harpe ; il me semble que je les aime mieux depuis que je n’ai plus de maître, ou plutôt c’est que j’en ai un meilleur. M. le chevalier Danceny, ce monsieur dont je t’ai parlé & avec qui j’ai chanté chez madame de Merteuil, a la complaisance de venir ici tous les jours & de chanter avec moi des heures entières. Il est extrêmement aimable. Il chante comme un ange, & compose de très-jolis airs dont il fait aussi les paroles. C’est bien dommage qu’il soit chevalier de Malte ! Il me semble que s’il se mariait, sa femme serait bien heureuse… Il a une douceur charmante. Il n’a jamais l’air de faire un compliment, et pourtant tout ce qu’il dit flatte. Il me reprend sans cesse, tant sur la musique que sur autre chose : mais il mêle à ses critiques tant d’intérêt et de gaieté, qu’il est impossible de ne pas lui en savoir gré. Seulement, quand il vous regarde, il a l’air de vous dire quelque chose d’obligeant. Il joint à tout cela d’être très-complaisant. Par exemple, hier il était prié d’un grand concert ; il a préféré de rester toute la soirée chez maman. Cela m’a fait plaisir ; car quand il n’y est pas, personne ne me parle, & je m’ennuie ; au lieu que quand il y est, nous chantons et nous causons ensemble. Il a toujours quelque chose à me dire. Lui et madame de Merteuil sont les deux seules personnes que je trouve aimables. Mais, adieu, ma chère amie ; j’ai promis que je saurais pour aujourd’hui une ariette dont l’accompagnement est très-difficile, et je ne veux pas manquer de parole. Je vais me remettre à l’étude jusqu’à ce qu’il vienne.

De…, ce 7 août 17…