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LES LIAISONS

Croyez-moi, vicomte, quand une femme s’est encroûtée à ce point, il faut l’abandonner à son sort ; ce ne sera jamais qu’une espèce.

C’est pourtant pour ce bel objet que vous refusez de m’obéir, que vous vous enterrez dans le tombeau de votre tante, & que vous renoncez à l’aventure la plus délicieuse & la plus faite pour vous faire honneur. Par quelle fatalité faut-il donc que Gercourt garde toujours quelque avantage sur vous ? Tenez, je vous en parle sans humeur : mais, dans ce moment, je suis tentée de croire que vous ne méritez pas votre réputation ; je suis tentée surtout de vous retirer ma confiance. Je ne m’accoutumerai jamais à dire mes secrets à l’amant de madame de Tourvel.

Sachez pourtant que la petite Volanges a déjà fait tourner une tête. Le jeune Danceny en raffole. Il a chanté avec elle ; & en effet elle chante mieux qu’à une pensionnaire n’appartient. Ils doivent répéter beaucoup de duos, et je crois qu’elle se mettrait volontiers à l’unisson : mais ce Danceny est un enfant qui perdra son temps à faire l’amour & ne finira rien. La petite personne, de son côté, est assez farouche ; &, à tout événement, cela sera toujours beaucoup moins plaisant que vous n’auriez pu le rendre : aussi j’ai de l’humeur, & sûrement je querellerai le chevalier à son arrivée. Je lui conseille d’être doux, car, dans ce moment, il ne m’en coûterait rien de rompre avec lui. Je suis sûre que si j’avais le bon esprit de le quitter à présent, il en serait au désespoir ; & rien ne m’amuse comme un désespoir amoureux. Il m’appellerait per-