Page:Choderlos de Laclos - Les Liaisons dangereuses, 1869, Tome 1.djvu/300

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

L’événement le plus désagréable, & le plus impossible à prévoir, m’a rendue malade de saisissement & de chagrin. Ce n’est pas qu’assurément j’aie rien à me reprocher : mais il est toujours si pénible pour une femme honnête & qui conserve la modestie convenable à son sexe, de fixer sur elle l’attention publique, que je donnerais tout au monde pour avoir pu éviter cette malheureuse aventure, & que je ne sais encore si je ne prendrai pas le parti d’aller attendre à la campagne qu’elle soit oubliée. Voici ce dont il s’agit.

J’ai rencontré chez la maréchale de… un M. de Prévan que vous connaissez sûrement de nom, & que je ne connaissais pas autrement. Mais en le trouvant dans cette maison, j’étais bien autorisée, ce me semble, à le croire bonne compagnie. Il est assez bien fait de sa personne, & m’a paru ne pas manquer d’esprit. Le hasard & l’ennui du jeu me laissèrent seule de femme entre lui & l’évêque de…, tandis que tout le monde était occupé au lansquenet. Nous causâmes tous trois jusqu’au moment du souper. À table, une nouveauté dont on parla lui donna l’occasion d’offrir sa loge à la Maréchale, qui l’accepta ; & il fut convenu que j’y aurais une place. C’était pour lundi dernier, aux Français. Comme la Maréchale venait souper chez moi au sortir du spectacle, je proposai à ce monsieur de l’y accompagner & il y vint. Le surlendemain il me fit une visite qui se passa en propos d’usage, & sans qu’il y eût du tout rien de marqué. Le lendemain il vint me voir le matin, ce qui me parut bien un peu leste : mais je crus qu’au lieu de le lui