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mot essentiel était entouré de tous parasites, d’amour, de bonheur, etc., etc., qui ne manquent jamais de se trouver à pareille fête.

À minuit, les parties étant finies, je proposai une courte macédoine[1]. J’avais le double projet de faciliter l’évasion de Prévan, & en même temps de la faire remarquer ; ce qui ne pouvait pas manquer d’arriver, vu sa réputation de joueur. J’étais bien aise aussi qu’on pût se rappeler, au besoin, que je n’avais pas été pressée de rester seule.

Le jeu dura plus que je n’avais pensé. Le diable me tentait, & je succombai au désir d’aller consoler l’impatient prisonnier. Je m’acheminais ainsi à ma perte, quand je réfléchis qu’une fois rendue tout à fait, je n’aurais plus, sur lui, l’empire de le tenir dans le costume de décence nécessaire à mes projets. J’eus la force de résister. Je rebroussai chemin, & revins, non sans humeur, reprendre place à ce jeu éternel. Il finit pourtant & chacun s’en alla. Pour moi, je sonnai mes femmes, je me déshabillai fort vite, & les renvoyai de même.

Me voyez-vous, vicomte, dans ma toilette légère, marcher d’un pas timide & circonspect, & d’une main mal assurée ouvrir la porte à mon vainqueur ? Il m’aperçut, l’éclair n’est pas plus prompt. Que vous

  1. Quelques personnes ignorent peut-être qu’une macédoine est un assemblage de plusieurs jeux de hasard, parmi lesquels chaque coupeur a droit de choisir lorsque c’est à lui de tenir la main. C’est une des inventions du siècle.